De par son grand âge, Lucifer ne saurait dire exactement quand il s'installa sur Terre. Tout ce qu'il peut affirmer, c'est qu'elle lui plût suffisamment pour ne plus vouloir la quitter - et c'est très exactement ce qu'il fit. Bien conscient de ne pas être le meilleur candidat pour régner sur le plan démoniaque, il concentra ainsi ses efforts sur le monde matériel, montant lentement mais sûrement une armée d'êtres maléfiques en vue d'asseoir sa domination.
Y ayant pris ses quartiers avant même l'apparition des premiers hommes, il contribua en grande partie à façonner le concept de Diable tel qu'il est entré dans l'imaginaire collectif, mythe avec lequel il s'est allègrement confondu avec le temps.
Ce n'est d'ailleurs pas le seul auquel il donna naissance, souffrant d'une affliction rare parmi les siens qui le rendait particulièrement vulnérable à la lumière du jour - et ayant acquis un goût certain pour le sang de ses victimes.
Aussi est-il facile de voir en lui l'un des progéniteurs de tout ce qui rôde dans le noir - une sorte de « père des monstres », d'autant plus considérant le nombre de ceux-ci qui se sont rangés sous sa bannière au fil des âges.
Néanmoins, sans s'en être rendu compte, peut-être le Dieu-Démon se laissa-t-il influencer par les humains plus qu'il ne voudrait bien l'admettre. Plutôt que de les écraser, de vouloir impérativement les placer sous sa coupe, il adopta un rôle d'observateur, suivant les évolutions de leur pitoyable race et n'interférant qu'en de rares occasions, passionné par les prémices de leur technologie. Après tout, il n'y avait pas urgence ; ayant déjà passé tant de temps à attendre de les voir ramper hors de la boue, il n'était pas à quelques centaines d'années près.
Cependant, son objectif était de ceux qu'il faut du temps pour atteindre ; des millénaires, à dire vrai. Limité par le fait de ne pouvoir quitter l'enceinte du palais qu'à la nuit tombée, il prévoyait en effet d'éteindre le soleil - de le détruire une bonne fois pour toutes, pour que jamais plus ses rayons ne puissent lui causer du tort. Ainsi ses armées pourraient-elles sans crainte déferler sur le monde, fraîchement plongé dans les ténèbres éternelles.
Pour ce faire, il utiliserait la Princesse Endormie - un diamant d'une rare pureté, au sein duquel il emmagasinait les radiations de chaque pleine lune jusqu'à disposer de la charge nécessaire pour mener son plan à bien. Fasciné par la tournure que prenait la technologie humaine, en particulier en matière d'armement, il vit une plaisante ironie à s'en servir à son avantage ; ainsi fit-il construire un puissant canon au sein-même du palais, pour mener à bien cet assaut décisif le moment venu.
Et c'est sans doute ce qu'il se serait produit si d'insupportables bambins n'étaient pas venus se mêler de ses affaires. Alors même qu'il s'apprêtait à en finir une fois pour toutes avec la lueur du jour, le soir exact où son tir allait enfin pouvoir retentir dans la plus grande des nuits, un groupe de jeunes trublions s'introduisit sur ses terres, attiré par les rumeurs entourant son précieux joyau.
Quoique pleinement capable de les vaincre, Lucifer préféra se concentrer sur la tâche capitale qui était la sienne, avant que les dernières heures d'obscurité ne lui filent entre les doigts et l'occasion avec elles. Il avait suffisamment attendu.
Cet empressement allait cependant lui coûter très cher, puisque le gamin à queue de singe qu'il avait négligé pour ce faire retourna son arme contre lui - et il s'en fallut de peu qu'il soit anéanti.
Mais les démons ne meurent pas si facilement.
Grièvement blessé et enfoui sous les gravats de son propre domaine, Lucifer fut contraint de plonger dans une profonde torpeur pour se remettre de ses blessures. Fort heureusement, la loyauté de ses soldats lui était acquise : même en l'absence de leur maître, ceux-ci mirent tout en œuvre pour restaurer ce qui pouvait l'être et regonfler leurs rangs amoindris.
Hélas, si les quelques dizaines d'années qu'il lui fallait pour retrouver tous ses moyens n'étaient pas grand chose pour le maître des lieux, l'on ne pouvait en dire autant du monde autour de lui. Si court que ce laps de temps ait pu lui sembler, il pouvait sentir - même depuis son ténébreux sanctuaire - que la puissance que les habitants de la Terre étaient capables de déployer ne pouvait plus être négligée.
Conscient que sa hâte était la cause première de sa précédente déconvenue, il choisit ainsi de prendre son mal en patience - de conspirer dans l'ombre à nouveau, ainsi qu'il l'avait toujours fait.
D’œuvrer à la mort de la lumière.