"Komugi...? Komugi...? Tu es là ?"
"Oui, bien sûr. Qu'y a t-il ?"
"Nous sommes juste un peu... fatigués... Nous allons nous reposer... quelques instants... Est-ce que tu pourrais... nous prendre dans tes bras...?"
......
"Komugi... Tu es là...?"
"Je suis toujours là, Votre Majestée. Je vous écoute."
"Nous allons... nous réveiller bientôt... d'accord...? En attendant... Pourrais-tu rester...à nos côtés...?"
"Je ne vous quitterai pas. Je resterai avec vous... pour toujours."
"Komugi..."
"Oui, oui, qu'y a-t-il ?"
"... Merci..."
"C'est à moi de vous remercier."
"A la toute fin... Pourrais-tu... nous appeler par notre nom...?"
"... Bonne nuit... Meruem..."
"La douce voix de Komugi s'éloigne au fur et à mesure de ses paroles, pour bientôt laisser place au plus profond silence. Tandis que le poison circule dans l'intégralité du réseau complexe de nos vaisseaux sanguins, la sensation du contact de sa main dans la nôtre s'affaiblit au fil des secondes qui s'écoulent. Puis, c'est la fin. Nous ne ressentons plus aucune présence, nous n'entendons plus rien, ne voyons plus rien. Komugi n'est plus avec nous, tout comme nous, elle est partie elle aussi, vers une destination qui nous est inconnue. Et alors que nous approchons à grands pas vers le précipice de la mort, nos pensées nous font voyager vers le début, nous ressassons nos souvenirs, et notre vie, qui n'a duré que quelques dizaines de jours, défile devant nous comme un film dans lequel nous ne pouvons plus intervenir.
Tout commença par notre naissance, caractérisée par le meurtre de notre mère. Après des millénaires d'évolution, et les dernières semaines que notre mère, Reine des Fourmis-chimères, passa à dévorer les créatures les plus diverses et les plus puissantes qui puissent exister en ce monde, afin de s'approprier leurs patrimoines génétiques, nous naquîmes enfin. Dés la naissance, nous étions d'ores et déjà le roi, destiné à régner sur toutes les espèces du monde, bien que nous ne sussions pas à l'époque ce que cela signifiait réellement. Nous représentions l'évolution finale de toutes les espèces, possédant les meilleures caractéristiques de chacune d'entre elles. Nous étions, et nous pouvons l'affirmer avec une grande humilité, de très loin, meilleur que toute autre créature existante dans la plupart des domaines : plus fort, plus rapide, plus résistant, plus endurant, plus intelligent... Nul ne pouvait nous égaler.
Mais nous ne connaissions rien du monde nous entourant, et nous n'éprouvions d'intérêt pour aucune autre créature. Les autres êtres vivants n'étaient que de la nourriture pour nous, nous nous attelâmes donc à partir en quête de nourriture délicieuse telle que celle que nous avions pu goûter dans le ventre de notre mère. Accompagné de nos trois gardes royaux, les seules créatures capables de survivre à notre coup de queue le plus basique, nous voyageâmes en tuant et en goutant les êtres sur le chemin. Mais puisque nous étions roi, il nous fallait un endroit pour régner, un palais. C'est ainsi que nous envahîmes le palais du roi d'une petite nation, et que nous commençâmes ce que nous avions appelé "une sélection". Cela consistait à rassembler plusieurs millions de citoyens devant le palais, et à leur faire passer un test de résistance afin de ne garder que les meilleurs, dans le but de fonder une armée et partir à la conquête du reste du monde. Mais puisque l'entreprise de rassemblement allait durer 10 jours, nous décidâmes de passer le temps en défiant les plus grands champions des meilleurs jeux de stratégie, dans l'objectif de tester notre intelligence et notre capacité d'apprentissage. Il nous suffit de lire une fois les règles du jeu d'échec ainsi que celles du jeu de go pour défaire rapidement leurs champions respectifs, que nous tuâmes dés que nous fûmes sûr qu'ils ne parviendraient jamais à nous vaincre.
Et ce fut à ce moment-là que nous rencontrâmes Komugi, la championne du jeu de Gun-Gi. Komugi était différente de toutes les créatures qu'il nous avait été donné de rencontrer jusqu'à lors. Après avoir lu l'intégralité des règles plus complexes du Gun-Gi, il nous fut tout bonnement impossible de vaincre Komugi à ce jeu, même après des dizaines et des dizaines de tentative. Quoique nous tentions, elle parvenait toujours à contrer nos attaques, et bien que nous progressions au fil des parties, elle progressait tout autant que nous, gardant sans cesse l'écart qu'il y avait entre nous deux. Komugi fut la première personne à se montrer supérieure à nous dans un domaine, et grâce à elle, nous comprîmes que la valeur d'une vie ne se résumait pas à sa puissance pure et dure. Sur le plan physique, nous étions imbattables, mais il existe des domaines dans lesquels des êtres vivants peuvent nous surpasser, ce qui les rend donc très intéressantes. Et ce qui s'appliquait à Komugi pouvait s'appliquer à n'importe quel être vivant : en tuant ces enfants que nous avions dévoré peu de temps après notre naissance, nous nous sommes peut-être privés d'opposants intéressants dans un domaine particulier. Ainsi, chaque individu qui vivait sur cette planète avait un potentiel intéressant, et chacun méritait de vivre autant qu'un autre. Néanmoins, la société humaine n'était guère propice à cela. Elle était emplie d'inégalités et de frontières qui favorisaient les guerres et les morts inutiles. D'un côté de la frontière, des enfants mourraient de faim, tandis que de l'autre de puissants hommes riches vivaient dans l'abondance et l'excès. Il était donc de notre devoir de mettre un terme à toutes ces inégalités, afin que chaque être puisse avoir autant de chances qu'un autre et que tous puissent s'épanouir dans les domaines dans lesquels ils sont les meilleurs.
Mais alors que la sélection allait commencer et que nous étions en pleine partie de Gun-gi avec Komugi, le palais fut attaqué par quelques individus bien plus puissants que la moyenne. Un vieil homme, envoyé en mission pour nous tuer, nous défia. Dans un premier temps, nous refusâmes le combat et lui expliquâmes nos intentions et notre volonté de rendre le monde meilleur, en usant de la force uniquement lorsque cela serait véritablement nécessaire. Mais le vieil homme ne voulut rien savoir, et proposa de nous révéler notre nom - que nous ignorions - si nous parvenions à lui faire admettre sa défaite. Nous acceptâmes ce défi qui nous paru très intéressant. Nous fûmes très surpris par les techniques de ce vieil homme, qui était certainement l'être le plus puissant que nous avions pu rencontrer, et le combat fut des plus palpitants. Mais bien qu'il parvenait à nous toucher des milliers de fois, ses coups ne nous faisaient guère plus que quelques égratignures, et, après plusieurs minutes passées à analyser tous ses mouvements, nous parvînmes à trouver la faille dans sa stratégie et à le priver d'une jambe. Malgré ce premier avertissement, il insista pour continuer le combat. C'était plutôt regrettable car nous n'avions pas l'intention de le tuer. Nous décidâmes donc de le priver de son bras gauche, membre que nous parvînmes à arracher après une petite minute et un enchaînement de milliers de coups. La fin était proche pour le vieillard, et après une dernière tentative qui consistait à envoyer toute son énergie dans une très puissante attaque qui nous causa quelques égratignures plus amples, il se sacrifia. Mais il y avait quelque chose que nous n'avions pas prévu : nous étions échec et mat dés le début. Le vieil homme s'était implanté l'équivalent d'une petite bombe atomique dans le corps, prévue pour exploser à sa mort, et nous fûmes pris dans cette intense explosion.
A ce moment, nous crûmes mourir, et nous l'aurions été si deux de nos gardes royaux ne nous avaient pas retrouvés. Nous absorbâmes une grande partie de leur énergie afin de nous reconstituer, ce qui nous permit de guérir intégralement, et même de devenir plus puissant encore. Nous retournâmes au palais, mais l'attaque du vieil homme nous avait plus affecté que ce que nous pensions : nous avions perdus la mémoire et n'avions plus aucun souvenir de Komugi. Mais fort heureusement, nous parvînmes à recouvrer l'intégralité de nos souvenirs grâce à l'un de nos subalternes. Néanmoins, il ne nous restait plus beaucoup de temps. Nous apprîmes que notre corps s'était retrouvé infecté par un poison libéré par la bombe que le vieil homme avait faite exploser, et nos deux gardes royaux furent d'abord les premiers à en subir les conséquences.
Nous trouvâmes Komugi, et décidâmes de passer le peu de temps qu'il nous restait à jouer au Gun-Gi en sa compagnie. Mais avant cela, nous avertîmes Komugi que le poison était très contagieux, et qu'elle serait contaminée et mourrait si elle restait avec nous. Malgré cela, elle accepta de passer ses derniers instants en notre présence. Malgré tous nos efforts, nous fûmes incapable de la vaincre au Gun-Gi, ne serait-ce qu'une seule fois.
Ce qui nous amène à l'instant présent. Nous sommes probablement déjà mort, plus aucune information du monde extérieur ne parvient à notre cerveau. Pourtant, il semblerait que nous soyons toujours conscient. Est-ce cela, la mort ? Sommes-nous condamné à errer dans le vide, dans le noir, sans rien ressentir, et à ressasser nos souvenirs perpétuellement ?
Non, quelque chose cloche. Les sensations reviennent. Nous nous sentons revivre, petit à petit. Pour une raison inconnue, quelque chose est en train de nous ramener. Notre mission n'est pas terminée.
Nous ouvrons les yeux pour nous rendre compte que nous avons atterri dans un lieu inconnu et désert. Komugi n'est pas ici. Peut-être n'a t-elle pas eu la même chance que nous, peut-être n'a t-elle pas pu revenir d'entre les morts. Nous ne pouvons pas l'abandonner sans en avoir la certitude absolue, mais la chercher serait comme rechercher une aiguille dans d'innombrables meules de foin, cela nous paraît presque impossible. A moins que... Si nous devenons le roi suprême du monde, non, de l'univers tout entier, nous aurons plus de moyens pour la retrouver plus facilement, tout en créant ce monde parfait auquel nous aspirons. Toutefois, il semble y avoir une légère contrainte. Nous nous sentons extrêmement faible, comme si toute notre puissance nous avait été volée. "